Le
processus de consilience
Dans
son approche thérapeutique, Lama Shérab Namdreul en est venu à concevoir et développer
le concept de consilience dans la démarche spirituelle qui est étroitement
inspirée de la vue du sahaja (tib. Lhen Kyé) souvent traduit par "co-émergence".
À rappeler l’étymologie latine (langue indoeuropéenne) de consilience :
sauter ensemble ; sauter (lat. saltare)
ayant le sens de s’élancer en l’air, ce qui nous rapproche du sens de co-émergence.
Lama
Shérab Namdreul désigne par consilience un processus psychologique qui
consiste à reconnaître en la souffrance (sct. Doukha) l’expression même de
la vacuité. La consilience s’appuie donc sur l’affirmation de l’absence
d’entité propre en les phénomènes du samsara comme du nirvana. Cette vacuité
est aussi bien la cause de la souffrance (sct. Doukha) que du bonheur (sct.
Soukha). La différence réside sur le fait d’ignorer ou de reconnaître
cette vacuité. En adoptant l’idée préalable d’illusion puis, par un
travail de reformulation des ressentis et des aspirations, entamer le
raisonnement et le recueillement pour reconnaître les imputations et dissiper
l’illusion et enfin reconnaître la vacuité.
Le
concept de consilience fait écho à celui de résilience *. Tandis que le
processus de résilience est contextuel à une souffrance spécifique, le
processus de consilience considère la nature vide de doukha et de la personne même.
Doukha provient de l’ébranlement de notre supposée identité et prend effet
comme souffrance dès lors qu’on maintient les conditionnements latents
qui procèdent de la saisie en une entité. Quand la consilience avec la vacuité,
l’absence d’entité, est réalisée, elle est définitive dans la perspective
de toutes les vies à venir et non pas temporaire à cette vie seule et
contextuelle à un trauma spécifique.
Il
y a trois façons d’appréhender la souffrance.
1)
Une façon victimaire où la souffrance est ressentie comme le fait d’une loi
rétributive dont on tente de s’acquitter par la repentance, la pénitence et
des rituels de purifications.
2)
Une façon évolutionniste en trouvant du sens à la souffrance qui permet
d’envisager une transformation de l’individu et l’amener à une résilience
de la souffrance. L’aptitude à la résilience vient de la compréhension que
la souffrance est relative.
3)
Une façon immédiate en considérant la souffrance comme énonciation et
accomplissement de la vacuité d’altérité et d’identité. Outre la compréhension
que la souffrance est le symptôme de l’illusion, l’aptitude à la
consilience vient de l’intuition que la souffrance est apparence co-émergente
à la vacuité.
Précisons
que le terme sanscrit "doukha", traduit habituellement par souffrance,
a le sens de contrariété. L’être du samsara ignore la réalité de la
manifestation et de son esprit comme étant vide d’entité. Si on s’en tient
uniquement du côté de la personne, l’idée de soi-même s’établit comme
une identité absolue prise pour réelle. C’est en quelque sorte une identité
d’emprunt qui se substitue à la véritable nature de notre être vide
d’entité, notre Être vajra (sct. Vajrasattva). Cette identité illusoire prend la fonction de référent central (égocentrisme)
depuis lequel s’organisent nos perceptions et réactions. Notre aspiration au
bonheur, légitime et nécessaire, ne peut aboutir car on ne peut combler une
identité illusoire, un fantôme en quelque sorte. C’est dans cette condition
que doukha apparaît comme contrariété existentielle parce qu’un bonheur
immuable ne peut être vécu par une entité irréelle. C’est dans ce sens
qu’il faut comprendre l’affirmation de la première noble réalité enseignée
par le Bouddha Sakyamouni : la naissance, la mort, la maladie et la
vieillesse sont doukha, contrariété. Par exemple, la vieillesse n’est pas en
soi souffrance. C’est de la contrariété que l’on souffre parce qu’elle
nous renvoie à nos peurs et nos illusions complaisantes.
Doukha
nous renvoie donc à la condition qui rend patente
la souffrance. C’est en cela que certains yogis affirment que doukha est
siddhi, c’est-à-dire une réalisation patente
(tib. Ngeu Droup) de la vacuité. Ce n’est pas un délire masochiste. La
"consilience" est une condition qui rend patente
la félicité (sct. Soukha).
La
lucidité coïncide à l’émergence de l’émotion
Dans
l’évidence d’unification de l’apparence et du vide d’altérité.
La
félicité coïncide à l’idée du moi
Dans
l’évidence d’unification de la cognition et du vide d’identité
Dans
l’abandon de toute réduction
Reste
une plénitude loisible.
* Définition (cf http://fr.wikipedia.org) : La résilience est un phénomène psychologique qui consiste, pour un individu affecté par un traumatisme, à prendre acte de l'événement traumatique pour ne plus vivre dans la dépression. La résilience serait rendue possible grâce à la réflexion, à la parole, et à l'encadrement médical d'une thérapie, d'une analyse.
étymologie : Du verbe latin resilio, ire, littéralement « sauter en arrière », d'où rebondir, résister (au choc, à la déformation).